En ce mois de décembre 2022, la rocambolesque affaire Levothyrox, qui oppose des milliers de patients Français au laboratoire Merck, a franchi un nouveau cap. Cette fois-ci, c’est l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui est mise en examen pour « tromperie ». Comment un établissement public français d’une telle envergure a-t-il pu être happé par le tourbillon de l’affaire Levothyrox ? Retour sur les principaux faits d’un scandale sanitaire.
Levothyrox : une nouvelle formule au cœur du scandale
Le Levothyrox est un médicament conçu et commercialisé par le laboratoire allemand Merck afin de lutter contre les troubles de la thyroïde. Il s’agit d’un médicament à marge thérapeutique étroite, autrement dit, son effet bénéfique est atteint entre deux concentrations assez proches. Les dosages vont de 5µg (=0.000025g) à 200µg et tous les 12.5µg. Il faut compter six mois en moyenne pour atteindre la stabilisation du dosage. En France, trois millions de patients se sont ainsi vus prescrire ce remède dont il existe des alternatives comme le L-Thyroxine Hennings ou bien le T-Caps.. Tout bascule en mars 2017 quand l’ANSM demande au laboratoire de modifier la formule du médicament afin d’en améliorer l’efficacité, tout en conservant le même principe actif, la lévothyroxine.
Rapidement après sa mise sur le marché, un nombre croissant de patients se plaint d’effets secondaires qu’ils associent à la nouvelle formule. Asthénie, céphalées, fatigues, crampes, vertiges, douleurs musculaires et articulaires, alopécie et même dépression sont ainsi au nombre des maux listés par les patients. Des effets secondaires que l’on peut associer à un sous-dosage ou un surdosage. Les patients victimes de ces effets indésirables décident alors de déposer plainte contre le fabricant.
Les grandes dates du calendrier judiciaire de l’affaire Levothyrox
Octobre 2017 : premières enquêtes, premières conclusions
En octobre 2017, soit seulement sept mois après la mise en vente de la nouvelle formule pharmaceutique du Levothyrox, une enquête préliminaire est confiée au pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Marseille. Face à la tourmente, la laboratoire Merck, dont le siège français est à Lyon, décide la réintroduction limitée de l’ancienne formule du médicament dans les pharmacies, sous le nom d’Euthyrox.
Toujours en octobre 2017, les locaux français de Merck sont perquisitionnés et l’ANSM monte au créneau : selon l’agence, l’ensemble des effets indésirables dénoncés par les patients sont le résultat d’une modification du traitement et non la cause de la nouvelle formule du Levothyrox.
C’est également en octobre 2017 qu’une première étape de l’affaire est franchie, quand le député LR Jean-Pierre Door, à la tête d’une mission parlementaire, appuie les dires de l’ANSM en concluant à un défaut d’information du laboratoire. Une analyse qui exacerbe la colère des patients.
Novembre 2017 : le retour exigé de l’ancienne formule
Le 14 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Toulouse condamne le laboratoire à fournir « sans délai » l’ancienne formule du médicament. Une décision qui contredit les annonces faites par l’ANSM et le député Jean-Pierre Door. Pour les magistrats, le fond du problème réside bien dans la composition chimique du médicament prescrit aux malades de la thyroïde.
Mars 2018 : la machine judiciaire s’emballe
Dès le 2 mars 2018, le laboratoire est désormais poursuivi au pénal. En effet, Merck fait l’objet d’une information judiciaire contre X pour « tromperie aggravée, blessures involontaires et mise en danger de la vie d’autrui ».
Juillet 2018 : l’ANSM défend la nouvelle formule
Depuis fin 2017, la justice se concentre davantage sur la composition chimique du nouveau Levorhyrox. Le 4 juillet 2018, l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) enfonce le clou en dénonçant la présence de nanoparticules de métal qui auraient été retrouvées dans la nouvelle version du médicament. L’AFMT souligne également d’autres anomalies de composition. Encore une fois, Merck dément et l’ANSM insiste sur la sécurité et la conformité de la nouvelle formule.
Novembre 2018 : l’enquête élargie à « homicide involontaire »
L’information judiciaire contre X ouverte le 2 mars 2018 est élargie à « homicide involontaire ». Une victoire pour les patients qui estiment que certains décès signalés dans la base de données de pharmacovigilance sont dus à la nouvelle formule du Levothyrox. Merck dément formellement tout lien entre ces décès et la nouvelle composition chimique de son médicament. C’est également en novembre 2018 que le ministère de la Santé indique qu’un demi-million de Français ont cessé de prendre du Levothyrox depuis le mois de mars 2017.
Mars 2019 : le premier procès au civil
Suite au premier procès au civil, le tribunal d’instance de Lyon écarte tout « défaut d’information » de la part du laboratoire et déboute ainsi 44 113 plaignants. Les plaignants décident de faire appel de la décision du tribunal.
Avril et juin 2019 : les rapports contradictoires sur la nouvelle formule
En avril 2019, des chercheurs de l’Université de Toulouse alertent sur la composition chimique du médicament qui, selon eux, ne présenterait pas de garanties de sécurité suffisantes. Pourtant, en juin de la même année, le ministère de la Santé conclut, à l’inverse, à l’absence d’augmentation de problèmes de santé graves.
Juin 2020 : Merck finalement condamné en appel
Suite au procès en appel, la Cour d’appel de Lyon juge Merck pour faute lors du changement de la formule et condamne le laboratoire à verser 1 000 euros d’indemnités aux plaignants. Le pourvoi en cassation, initié par Merck, est rejeté le 16 mars 2022. Par ailleurs, l’ancienne formule voit l’arrêt de sa commercialisation repoussée jusqu’à fin 2022 au moins.
Septembre 2021 : l’ANSM visée par une action collective
Les regards se tournent alors vers l’ANSM, dans le collimateur d’une autre action collective de 1 100 plaignants qui l’accusent de « défaut de vigilance « et d’ « anticipation », devant le tribunal administratif de Montreuil. C’est le début d’un nouveau volet dans ce scandale sanitaire.
L’ANSM mise en examen pour tromperie
Plus de quatre ans après l’enquête pénale ouverte contre Merck, le laboratoire est mis en examen pour « tromperie aggravée » en octobre 2022 et est placé sous contrôle judiciaire. Dans le viseur de la justice, les modalités d’information mises en place au moment du lancement de la nouvelle formule pharmaceutique du Levothyrox. Néanmoins, l’ensemble des chefs d’accusation énumérés lors de l’ouverture de l’information judiciaire font aussi l’objet de l’instruction en cours.
Dans la foulée de la mise en examen du laboratoire, le 7 décembre 2022, l’ANSM est à son tour mise en examen pour « tromperie ». La modification de la formule du Levothyrox avait été demandée par l’ANSM qui a toujours défendu cette nouvelle composition et l’organisation de la communication autour de ce changement. Dans un communiqué, l’agence précise qu’elle n’a jamais nié les difficultés rencontrées par les patients et se préoccupe constamment de leur sécurité et de leur santé. Elle précise qu’en 2018, une étude menée sur 2 millions de patients n’avait pas conclu à un lien de cause à effet entre la nouvelle composition chimique et les effets indésirables signalés par les patients. L’ANSM ajoute qu’elle contribuera pleinement à la manifestation de la vérité, mais nie formellement avoir commis la moindre infraction pénale.
Si les poursuites judiciaires contre le laboratoire Merck sont toujours en cours, la focale judiciaire se tourne maintenant sur l’ANSM, impliquée dès le départ dans l’affaire Levothyrox. Les associations de patients, les médecins et les pharmaciens s’interrogent sur les conséquences qu’une condamnation de l’ANSM pourrait avoir sur l’encadrement de la fabrication des médicaments en France.